Thème #23 - mars 2024
Le Déni
Le poids-lourd de l'empêchement d'avancer droit
Refuser d’avancer au nom de la douleur que cela engendre, c’est légitime. Dépasser cette peur, c’est entrer dans la lumière. Et c’est possible.
Voir
Les trois singes de la sagesse
L’un ne veut rien voir, le deuxième ne rien entendre et le dernier veut surtout ne rien dire, nos trois primates auraient-ils ainsi découvert le secret de la sagesse comme le raconte la légende chinoise de leur origine ? En ne laissant pas l’extérieur pénétrer notre esprit à travers l’un de ces canaux sensoriels, les perturbations de l’environnement ne contamineront pas notre espace intérieur. C’est vite oublier que les chaos sont aussi en soi et qu’en les enfermant dans le déni, on n’en facilite en aucun cas la dissolution. Alors même si, pour le feng shui, ces triplés sont supposés insuffler de l’énergie positive dans la maison, personnellement je ne pense pas qu’ils m’aideront à dénicher les non-dits de ma construction psychique. Ceci dit, leurs représentations sont souvent des œuvres pleines d’ironie naïve et de tendresse bienveillante. Alors, pourquoi pas ?!.
Aline
PENSER
Au-dessous du volcan
Ce livre devenu culte de Malcolm Lowry, passé presqu’inaperçu lors de sa parution, ne laisse personne indifférent. On aime ou on déteste. J’ai pensé à lui pour ce panier de mars par ricochet. L’alcoolisme est pour moi typiquement l’exemple d’un déni généralisé, au moins en France. On a même inventé une expression pour rendre acceptables ses conséquences destructrices, l’alcoolisme « mondain ».
Dans ce roman datant de 1947, le héros est un consul défroqué qui cherche à oublier un événement traumatisant de son passé pendant la Première guerre mondiale. Il s’alcoolise du matin au soir dans l’atmosphère moite d’un Mexique assez poisseux. Une écriture sensuelle et pleine de symboles, pour ressasser des obsessions morbides que le mezcal ne parvient pas à dissoudre, Malcolm Lowry a réuni là les deux moteurs de sa propre vie, l’écriture et l’addiction. Une manière comme une autre de consolider les dénis qui font tenir debout, titubant, certes, mais debout !
ENTENDRE
Les ondes Delta
Parmi les plus lentes des ondes cérébrales, les ondes Delta sont propices au sommeil et… à l’oubli. Idéal pour s’empêcher de penser et rester dans le déni, me direz-vous ? Sans doute, mais aussi propice à la relaxation profonde, et donc au travail souterrain de l’inconscient pour dénouer ce même déni, qui sait ?! Alors, goûtons, sans modération !
Aline
SENTIR
Les Fleurs du Mal
Un déni volontaire au nom du fleuve mythique de l’oubli…
Le Léthé
Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l'épaisseur de ta crinière lourde ;
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt.
Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort,
J'étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l'abîme de ta couche ;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.
À mon destin, désormais mon délice,
J'obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë
Qui n'a jamais emprisonné de cœur.
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal (1857)