L’influence du Shintoïsme et de l’esthétique japonaise sur la pratique photographique et artistique
Aujourd’hui, nous observons que de nombreux photographes et plasticiens sont fortement influencés dans leurs pratiques artistiques par des concepts anciens de l’esthétique japonaise basés notamment sur le Zen et la tradition shintoïste.
Voici quelques-uns de ces concepts qui sont illustrés par une série de photo autour des carpes Koï tirées de mon livre photo Koï.
Brève introduction au Shintoïsme
Le shinto (神道) c'est littéralement "la voie des Kamis (ou esprits)" ou "la voie du divin". Le shintoïsme est un ensemble de croyances datant de l'histoire ancienne du Japon, reconnues comme religion qui mélange des éléments polythéistes et animistes.
Au Japon, les Kami sont partout… Un culte leur est rendu depuis plus de 10000 ans, début de la civilisation Jomon.
Aujourd’hui au Japon, 3 religions principales sont présentes et peuvent même être pratiquées en même temps par une même famille !
Le Shintoïsme (souvent pour les rites de naissance), Bouddhisme (pour les rites liés aux funérailles) et Christianisme (utilisé pour des mariages à l’occidental).
Dans les anciennes religions animistes, les kamis étaient simplement considérés comme les forces divines de la nature. Les fidèles de l'ancien Japon vénéraient les éléments de la nature qui dégageaient une beauté et un pouvoir particuliers tels les chutes d'eau, les montagnes, les rochers, les animaux, les herbes, les fleurs etc…
Influences artistiques - Quelques notions d’esthétiques spécifiquement japonaises
Le mot « esthétique » vient du grec Aethesis qui signifie perception, sensation.
C’est une discipline de la philosophie ayant pour objet le beau (dans la nature et dans l’art). Elle est en rapport à la perception de la beauté et aux sentiments et jugements qu’elle fait naître.
Durant ses nombreuses années d’isolement, le Japon s’est intériorisé et l’élan artistique, l’esthétique y a pris la place accordée à la religion dans d’autres pays ! Les questions esthétiques sont couramment discutées et évaluées.
L’esthétique japonaise se distingue par 4 qualités principales : la suggestion, l’irrégularité, la simplicité et la périssabilité.
Dans ses périodes d’homogénéité culturelle, le peuple japonais a fait de l’art un mode de vie.
Chaque époque est liée à un mouvement esthétique spécifique qui peut être basé sur un courant littéraire (poésie type Haïku comme à l’époque EDO 1603-1868), philosophique (zen et cérémonie du thé- époque MOMOYOMA 16ième siècle) ou sociétal (Geishas - EDO).
Le wabi-sabi est constitué de deux principes entremêlés : wabi, qui fait référence à la plénitude et à la modestie que l’on peut éprouver en observant la nature et le sabi, la sensation que l’on ressent lorsque l’on voit des choses patinées par le temps ou le travail des êtres humains.
“Wabi-sabi est la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes. C’est la beauté des choses modestes, humbles et atypiques.”
L'esthétique du wabi-sabi est liée à une sobriété maitrisée avec l’intention de déceler et d'apprécier la beauté de toute chose humble (se défaire du superflu !).
物の哀れ est un concept japonais, pouvant être traduit comme « l'empathie envers les choses » ou « la sensibilité pour l'éphémère ».
C’est une esthétique (très photographique) tournée vers la beauté du périssable et l’intensité douce-amère des choses.
Cette notion signifie littéralement une rencontre unique dans la vie.
C’est un instant, un moment qui devient alors précieux car absolument unique.
C’est une proposition de connexion au monde très consciente et respectueuse.
Connexions aux autres (portrait, street photography etc…) et à la nature (animalier, macro, paysage). Henri Cartier Bresson nommait cette approche « l’instant décisif », cette fraction de seconde qui permet de capturer un événement, une situation qui vient de naître et de mourir devant les yeux du photographe !
Yûgen, c’est ce qui ne peut être explicité rationnellement par des mots. C’est le subtil opposé à l’évident, la suggestion opposée à la formulation.
Le poète Kamo-no-Chômei (1155-1216) évoquait le Yûgen ainsi :
« Quand un monde invisible semble être en suspend dans l’atmosphère, quand le vil et le banal servent à exprimer l’élégant, quand une conception poétique d’une rare beauté est pleinement développée dans un style présentant une apparente simplicité ».
C’est une expression aujourd’hui entrée dans le langage courant et donc un peu galvaudée par ses usages multiples.
Cela reste dans l’esprit la synthèse du minimalisme ou plutôt de l’épure, et des 3 concepts évoqués précédemment : Wabi-Sabi, Mono No Aware et Ichi-go ichi-e repris sous la notion spirituelle de l’ici et maintenant.
Illustration par des photographies tirées du livre photo d’art (mixte) : « Koï »
Le choix d’un animal porteur d’une forte symbolique. La carpe koï est la reine des poissons d’ornement et est très convoitée dans les jardins japonais du monde entier. Sa grande taille (jusqu’à 1 mètre !), ses couleurs vives et sa longévité (100 ans !) en font un animal exceptionnel.
Au Japon, les carpes Koï sont appelées « Nishikigoi » ou poissons colorés.
C’est une spécificité de la carpe commune grise sombre à l’origine apparue au Japon suite à une mutation chromatique inattendue au début du 19ème siècle.
Ce sont des animaux que l’on retrouve dans de nombreuses légendes notamment par leur capacité à remonter les rivières malgré la force du courant. Elles symbolisent avant tout la persévérance mais également le courage, la certitude et l’amour.
En 1914, lors de la grande exposition de Tokyo, 8 carpes exceptionnelles ont été offertes au fils de l’empereur Taicho.
Les photographies présentées ont été prises dans les jardins impériaux de Tokyo, en Provence et le long du canal du midi de 2017 à 2022.
Laurent Barrera